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Abbaye Sainte Marie de Maumont

    Le conte de Pierres d'hymnaire et Pierre Emmanuel, poète

    hymnaire
    Soeur Dominique raconte comment l'impossible est né : utiliser les oeuvres de Pierre Emmanuel, poète (1916-1984). Ecoutez plutôt :

    LE CONTE DE PIERRES D'HYMNAIRE
    « L'ange peut être un homme qui passe, il disparaît et on sait alors Qui Il est » (Pierre Emmanuel –
    Jacob, p.166).
    Il me faudrait tout le génie de Pierre Emmanuel pour être fidèle à la promesse de beauté inscrite en ces quelques mots tout au long de cette histoire qui vient les illustrer, mais j'en appelle surtout à Dieu maître de l'impossible, car, avec son aide, peut-être parviendrai-je à faire de ce récit une parabole utile à tous.

    UN HOMME QUI PASSE

    Nous en avions bien décidé, mon abbesse et moi-même : ce serait une démarche prétentieuse, hasardeuse, d'entreprendre la rédaction d'un hymnaire français pour notre monastère ; on ne s'improvise pas poète et si l'Église nous demande de mettre toutes nos forces de création au service de la beauté liturgique, elle ne peut être que gênée par des efforts maladroits...
    Bien sûr, il y avait Évangéliaire, ce petit livre de Pierre Emmanuel dont je continuais à rêver, il suffirait de si peu de choses pour que ces poésies deviennent chant liturgique, quelques retouches ici ou là et quelques ajouts, les doxologies particulièrement, mais vous ne me voyez pas écrire à un Académicien pour lui demander de trafiquer son œuvre, d'ailleurs qu'attendait-il, lui-même, pour faire des hymnes ? Je cherchais vainement son nom dans les listes d'auteurs – on ne m'avait sûrement pas attendue, moi, pour lui proposer cette tâche, ... je ne connaissais pas cet homme... Tout conspirait donc à l'impossible, il fallait s'y résigner, avec un sourire.

    C'est dans ce sourire, justement, que vint se glisser le Maître de l'impossible.

    Pierre Emmanuel vint à Angoulême le 15 décembre 1983. La soirée ne fut pas fameuse, le public paresseux de la ville ne s'était guère déplacé. Plutôt que de rester sur un échec, le prêtre qui l'avait invité lui proposa de passer à Maumontabbaye maumont chateaumonastère bénédictin de la région. L'affaire fut vite conclue : un coup de téléphone dans la matinée, une brève  communication à la fin du repas des moniales : « nous aurons à 14 h une conférence du poète Pierre Emmanuel, si vous voulez bien aménager vos emplois du temps... » Quoi de plus simple ? Celui que nous attendions confusément était là, soudain accessible à l'appel.
    Il nous parla longuement, paroles fortes sculptées dans le silence ; mais voulait-il parler ou se taire ? Nous écouter en nous parlant ? Nous sentions en lui une hâte, peut-être une gêne. Il nous dit qu'il avait le désir de prier avec nous, conclut, et marchait sans lenteur vers la porte de notre clôture. Ce qu'il me fallut d'audace ou d'humilité pour l'aborder, Dieu seul le sait qui préparait la rencontre. Quelques minutes tout au plus – nous n'avions pas de montre en main – mais une certitude ; une certitude et un projet. Un hymnaire s'écrirait, dont il serait l'auteur ou l'inspirateur. Je lui proposai les quelques textes où je m'étais essayée : pourrait-il les corriger, les redresser, les jeter au besoin ? Je ne voulais plus me résigner. Lui me parut accablé et songeur. Deux jours après il rédigeait son testament et subissait une nouvelle opération.

                                   I L DISPARAÎT
    Je ne devais plus le revoir. Lui le savait sans doute, moi je le découvrais. Il avait disparu, son œuvre m'apparaissait, immense et rude. Avec elle j'aurais à lutter – étrange combat – « Comme son âme est lourde ! » me disais-je parfois presque sans y penser, mais comment reculer ? Plus cultivée, mieux instruite de l'œuvre et de l'homme j'eus été bien plus sotte : je n'aurais jamais osé l'aborder et rien ne se serait passé.
    Maintenant je devais, de par Dieu, me mesurer à cette pensée, accueillir cette vérité blessée et vive, la reconnaître, ne jamais me permettre de l'éluder simplement dans un « je ne veux pas le savoir » qui refuse à « l'autre » le droit d'exister.
    Je reçus de lui une grande lettre, précise, détaillée, encourageante, il me pensait porteuse d'un message d'hymnes, mais lui ne s'engageait point. Je ne pus accepter le point d'orgue que signifiait cette lettre et lui répondis par retour : et vous ? les hymnes de vous ? le ton employé était plus circonstancié mais l'appel était clair. Lui aussi me répondit très vite, une longue lettre encore dont je fus ébahie : « Qu'est-ce que cet objet de votre attente ? Que je vous donne l'autorisation de me "piller" ? mais vous l'avez cent fois - les textes que vous tirerez des miens seront plus utiles et iront plus haut, grâce au chant, que ces derniers. N'ayez donc pas scrupule à m'emprunter ce qui paraît bon et à laisser le reste. Ni à m'envoyer non seulement ce que vous en tirez mais ce qui vient de vous ». La mise en demeure était donc pour moi. Dieu se reconnaît en nos histoires d'hommes à un parfum irrésistible, que Paul appelle « la bonne odeur du Christ ». Rien de plus pénétrant, rien de plus insaisissable. L'urgence est de rigueur : Pierre Emmanuel travaille alors à son Grand œuvre et à sa mort (Anne-Sophie Andreu nous a appris avec quelle application et quelle ferveur) or j'avais absolument besoin de lui pour relire mes adaptations que je bâtis très vite, étonnée de la douceur du passage du poème murmuré à l'ampleur du chant d'Église. Je lui envoyai une bonne dizaine d'hymnes. Puis, plus rien. À chacun de lutter dans l'ombre pour que meurent nos projets personnels et que vive l'expression de la volonté divine, seule aimée. À la veille de la semaine sainte, un appel téléphonique, il nous demandait de prier. Qu’importe l'hymnaire, après tout, la vie seule compte, ce chef-d'œuvre divin.mort abbaye maumont

    E T ON SAIT ALORS QUI IL EST
    La vie – sa vraie vie – l'imprenable ! Les hymnes se multipliaient maintenant dans une lumière pascale qu'il avait accueillie « avec une immense gratitude ». Le grand œuvre achevé il me parlait d'éternité : « Vous dirais-je aussi qu'ayant parachevé et donc épuisé mon ambition je souhaitais écrire un ensemble de textes tout intérieurs qui s'intitulerait Evensong, ou en français : Complies ? Le mot Complies est en un sens plus beau car il suggère l'accomplissement, l'achèvement. Evensong, ou song of the evening a le même sens mais met d'avantage l'accent sur le soir.
    Parvenus au coucher du soleil
    Voyant la lumière du soir
    Nous chantons le Père, le Fils et le Saint Esprit.
    Chantez-vous cela comme la liturgie orientale ? »
    J'appris sa mort par le journal. Non, sa vie, sa vraie vie, l'imprenable !
    Je mis au point l'hymne de complies.
    « Le regard du couchant nous invite à t'offrir
    Seigneur, ces dons que tu nous fis : l'être et la vie
    si totalement nôtres, si fragiles pourtant
    qu'ils ne sont beaux qu'en Toi lorsque Tu les reçois ».135_C
    Pierres d'Hymnaire est né de tout cela.
    Pierres d'Hymnaire car la carrière est vaste qui nous fut ouverte, vaste aussi, infinie, la gloire de Dieu à célébrer. D'autres pierres viendront sans doute s'y ajouter.
    Pierre Emmanuel y a scellé son anonymat, conquis de haute lutte et confusément désiré. L'Église, notre Église bien aimée y a-t-elle gagné ? Ces hymnes participent à son immense effort eucharistique – ni plus – ni moins.
    L'histoire de ces prières chantées continue dans notre monastère et d'autres lieux de prières, vous y
    êtes tous conviés si vous le désirez.

    proue abbaye footer maumontAbbaye Saint Marie de Maumont
    lieu dit "Maumont"
    1 château de Maumont
    16190 Juignac